classement PISA : pour les Français qui prennent modèle sur les Allemands qui prennent modèle sur les Français

Le classement PISA est un objet médiatique fascinant : tel une saga il nous revient tous les 3 ans, annoncé des jours à l’avance avec effroi (" PISA revient, tremblez, car nous allons encore baisser")comme le prochain blockbuster...et quand il est là : ah, le délice d’avoir eu raison, vraiment tout va de mal en pis, et la France qui décline quand tous les autres vont de l’avant...
Puis, rendez-vous dans 3 ans pour le prochain épisode.
Mais qui questionne ce classement PISA ? Il semble que sa régularité suffise à le crédibiliser, sans même qu’il y ait besoin de le discuter sur le fond. Pourtant, comme le note de manière bien isolée le site Arrêt sur images, Pisa présente une marge d’erreur non négligeable : le classement est juste... à 5 places près ! De quoi relativiser beaucoup les écarts entre pays...L’Internationale de l’Education insiste sur ce point : il n’est pas pertinent d’utiliser PISA pour comparer les systèmes nationaux, mais plutôt pour suivre les évolutions au sein d’un même pays.
Néanmoins, comme nous sommes dans un monde de concurrence, de compétitivité...chaque classement est l’occasion de remettre en cause notre système, moins efficace que chez nos voisins. Ainsi notre ministre voit dans les résultats PISA 2012 la preuve qu’il faut refonder l’école à sa manière, ce qui conforterait sa réforme des rythmes scolaires : moins de classe, davantage d’activités culturelles et sportives l’après-midi. Le modèle allemand.
Bien. Sauf qu’en 2002, lors des premiers résultats PISA auxquels ils participaient, les Allemands avaient été catastrophés par leurs (relatifs) mauvais résultats. On parla alors de "choc PISA", et le gouvernement fédéral lança un programme ambitieux sur l’enseignement primaire. Avec notamment, pour contrer la hausse des inégalités, un allongement du temps passé à l’école l’après-midi...Le modèle français !
Un même constat : le déclin du niveau, l’accroissement des inégalités ( en défaveur des populations immigrées et/ou les plus pauvres) et 2 solutions diamétralement opposées ( réduire ou augmenter la journée scolaire)...Premier enseignement, sur la méthode : PISA est devenu un moyen d’enjoindre aux pays de faire les changements indispensables pour rester dans la course. Le classement doit provoquer un "choc" chez l’opinion et les décideurs, facilitant ensuite l’acceptation de réformes dites urgentes ( ainsi des réactions hystériques en Allemagne après le choc PISA de 2002). C’est tout simplement du pilotage par l’évaluation, comme nous le connaissons bien dans l’Education Nationale : au moyen d’un indicateur qu’on présente comme neutre, purement technique, on naturalise les réformes et on dépolitise le débat. PISA joue dans l’Education le même rôle que le triple A pour nos systèmes sociaux. Choquer, paralyser, faire accepter.
Second enseignement, sur le fond celui-là : la réussite scolaire n’apparaît pas du tout liée, aussi simplement que nous le vend notre ministre, à la question des rythmes scolaires. Allonger, ou réduire la journée scolaire, n’influence les résultats qu’à la marge. L’Internationale de l’Education rappelle que ce sont la détection précoce des difficultés chez les élèves puis leur prise en charge spécifique, la formation ( et la rémunération !) des enseignants qui permettent une élévation générale et plus égalitaire du niveau scolaire. Dit autrement : la réforme des rythmes scolaires n’était, et de loin, pas la priorité...

SUITE DE LA UNE :
Car si l’Allemagne a bien réussi à remonter dans le classement PISA, il n’est pas dit qu’elle le doive à la hausse de scolarisation des enfants l’après-midi. Leur taux a doublé, mais reste très marginal, à moins de 20 % de l’ensemble des élèves concernés. "Le développement des écoles à journée complète n’a été qu’une des mesures prises pour faire remonter l’Allemagne dans les classements", rappelle Eric Charbonnier, analyste à la direction de l’éducation de l’OCDE. Selon lui, "d’autres mesures, comme l’assouplissement de la différenciation des cursus dès l’âge de onze ans ou l’apprentissage de langues étrangères très tôt ont eu beaucoup plus d’impact". Car les ministres allemands ont pris un nombre importants de mesures, dans 7 grands domaines différents. Ils ont cherché à harmoniser le système éducatif, jugé trop différent selon les Lander ( notons , comme nous l’avions signalé dans les tapas sociales, que si cela a été bien vécu en Allemagne, cette politique d’unification heurte fortement en Espagne, où la nouvelle loi WERT est perçue comme une dégradation de l’enseignement et une atteinte à la liberté et à l’autonomie des établissements scolaires. Il ne semble pas que la centralisation ou la centralisation soit par elle-même synonyme d’amélioration). Surtout, ils ont mis l’accent sur une scolarisation précoce des enfants, en particulier des milieux les plus pauvres ; ils ont cherché par la formation à augmenter "le professionnalisme" des enseignants, avec comme priorité le diagnostic et la méthodologie en classe. Ces réformes ont été accompagnées par la population, avec la participation de nombreux bénévoles ( personnes âgées par exemple) pour intervenir dans les classes. Elles se doublent d’un lourd investissement financier ( 4 milliards d’euros rien que pour le programme de scolarisation toute la journée). Et effectivement, ces efforts ont payé : l’Allemagne remonte dans le classement PISA depuis 2002. Sans qu’on puisse dire si le changement de rythme scolaire y est pour quelque chose...Mais l’essentiel est peut-être ailleurs : l’Allemagne fait sans doute scolairement la politique de sa natalité. " Les féministes vantent depuis longtemps le système éducatif français qui permet aux femmes de cumuler emploi et éducation des enfants. Outre-Rhin, les mères doivent souvent s’occuper des enfants l’après-midi. Conjugués à l’absence d’un système d’école maternelle pour tous, ces rythmes allégés décourageraient les femmes de faire des enfants." indique le Monde. Où l’on voit que toucher aux rythmes des élèves est de grande conséquence pour le reste de la population, mais aussi que les sociétés françaises et allemandes n’ont pas du tout les mêmes problématiques, et que leur politique scolaire s’en ressent forcément.
La France, avec sa démographie en nette croissance ( et sa population scolaire en conséquence) , ne saurait être comparée avec des sociétés qui ont fait, implicitement ou explicitement, le choix d’un contrôle des naissances ( Emmanuel Todd parle de structures familiales "souches", où les familles investissent scolairement beaucoup pour un nombre limité d’enfants, afin de favoriser leur réussite). Nous n’avons pas la même politique familiale que Shangaï, 1ère du classement PISA, qui cumule politique de l’enfant unique et sur-investissement financier en comparaison du reste de la Chine. Difficile aussi les comparaisons avec la Finlande, dont la population ne dépasse pas celle de la Seine et Marne, avec 3 fois moins d’écoles !
Reste que la France ne progresse pas dans ses résultats, indépendamment des résultats des autres pays. Au contraire ses résultats baissent, et cela jette une lumière crue sur la politique menée dans les années 2000 par la Droite ( une meilleure école avec moins de moyens), mais de manière aussi générale sur notre système éducatif fortement reproducteur des inégalités sociales. La France ne s’est pas effondrée, et cela milite pour que l’on donne déjà à l’école actuelle les moyens de bien fonctionner ( en enseignants et encadrants, en équipements) avant d’envisager de réels progrès...à discuter dans une véritable concertation. Plutôt que la quantité d’heures, scolaire ou périscolaires, quels progrès sur la qualité des différents temps éducatifs voulons-nous ?

sources :
analyse du modèle allemand ans le Monde et le Figaro :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2010/05/25/rythmes-scolaires-quand-l-allemagne-vante-le-modele-francais_1362660_3214.html
http://www.lefigaro.fr/international/2013/06/17/01003-20130617ARTFIG00534-echec-scolaire-comment-l-allemagne-a-reforme-son-systeme.php

critique du classement PISA :
http://www.ei-ie.org/fr/news/news_details/2788