retraites : testez-vous sur le petit dictionnaire des idées reçues.

Le gouvernement qui lance en grande pompe une nouvelle conférence sociale, la CGT qui y répond immédiatement par une intervention en direct de son secrétaire général : on voit que, sur la question des retraites, la bataille de l’opinion est déjà commencée. Et sans présumer de l’issue des conflits qui ne manqueront pas d’agiter une rentrée sociale qui s’annonce explosive, nous pouvons pourtant déjà deviner que certaines batailles sociales seront perdues : celles, tout simplement, qui ne seront pas menées. Car certaines opinions font consensus, s’imposent à chacun au point que les discuter ne serait pas « audible », et le chemin est long quand il faut commencer par lutter contre soi-même, ou plutôt contre ses idées reçues -et intégrées. C’est ce que Noam Chomsky appelle « la fabrique du consentement » (manufacturing consent) ou comment , en démocratie, les classes dominantes utilisent la propagande pour imposer leurs idées, et circonscrire ce qu’il est acceptable de débattre – tout ce qui est au-delà se faisant taxer d’extrême, de populiste ou d’utopique. Chomsky illustre cette théorie par l’exemple de la Sécurité sociale, qui était depuis sa création en 1935 un élément indiscutable de la vie des Américains : même Reagan n’avait pas touché à cette institution ! Pourtant, en quelques années, et à force d’un matraquage en communication, l’idée s’imposera naturellement qu’il faut « sauver » la Sécurité sociale, l’Administration Clinton n’ayant plus qu’à limiter le débat à la question : « Comment la sauver ? ».
Revenons en France, où il nous est donc répété en boucle qu’il faut là aussi « sauver » le système des retraites. Dans les idées que chacun d’entre nous défend, ou que nous défendons ensemble à la CGT, quelle est la part que nous assumons explicitement, et quels sont nos angles morts ? Par exemple si un interlocuteur vous explique qu’il est pour un départ à la retraite à 55 ans, allez-vous adhérer immédiatement à son propos ? ou bien tiquer, devant l’irréalisme d’une proposition totalement à contre-courant ? La retraite à 55 ans, c’était pourtant la revendication officielle de la CGT jusque dans les années 90…depuis le traitement médiatique a permis de ringardiser complètement cette revendication ( il faudrait chercher qui ose encore la verbaliser dans notre confédération), tout comme il était ringard de parler de lutte des classes, ou inaudible de critiquer l’Europe il y a encore peu...ceci pour dire que le courant peut s’inverser : d’où le texte qui suit.

Mais commençons par nous interroger sur quelques idées ( reçues ? véridiques ?) à propos des retraites, avant d’explorer des réponses parfois rugueuses pour le discours politiquement correct majoritaire.
Etes-vous plutôt d’accord avec ces affirmations :

• Les travailleurs du Service public ont de petits salaires, mais en compensation ils ont de meilleures pensions que ceux du privé.
• Il faut sauver la Sécurité sociale, et en particulier le système des retraites.
• Les cotisations sociales ne suffisent plus, il faut financer autrement les pensions.
• Il ne faut pas empêcher les seniors encore dynamiques de travailler si ils le souhaitent.
• Il y a un problème démographique évident, l’espérance de vie augmente, il est logique de travailler plus longtemps.
• La pension est un revenu différé : plus je cotise, plus ma retraite doit être élevée.
• Nous sommes dans un système de solidarité intergénérationnelle à préserver.

• Les travailleurs du Service public ont de petits salaires, mais en compensation ils ont de meilleures pensions que ceux du privé.

C’est une légende : si l’on s’intéresse au taux de remplacement par rapport au dernier salaire, le privé s’en sort mieux que le public. Jusqu’à peu, ce taux de remplacement était de 77 % dans le Public, et 84 % dans le privé. Résultat contrebalancé par un salaire moyen plus élevé dans le Public, contrairement à l’idée reçue.

• Il faut sauver la Sécurité sociale, et en particulier le système des retraites.

Pour reprendre l’idée de Chomsky à propos des Etats-Unis, nous pouvons d’abord noter qu’il n’a pas toujours été question de « sauver » la Sécurité sociale, au contraire plus on parle de la « sauver », plus le « trou » se creuse, rendant nécessaire une nouvelle « réforme » pour sauver ce qui peut encore l’être… Comme pour l’austérité, il y a un discours néo-libéral irrationnel, qui fait advenir ce qu’il prétend dénoncer. D’autre part, sur le sens du mot « sauver » : pourquoi ne sauve-t-on pas la Sécurité sociale comme on a sauvé les banques en 2008, ou comme on continue à sauver les grandes entreprises aujourd’hui ? Pourquoi le sauvetage de certains serait-il forcément du domaine de la saignée, quand d’autres ont droit à une généreuse cure de remise en forme – à prix d’amis ? Enfin, si nous allons jusqu’à reprendre l’hypothèse que la Sécurité sociale est en difficulté financière ( dans un pays beaucoup plus riche que lorsque cette institution a été crée !), pourquoi s’interdire de repenser le système des recettes, et s’en tenir aux dépenses – forcément à réduire ? Il est à la mode de faire bouger les lignes, de briser des tabous : brisons le tabou des recettes plafonnées de la Sécu !

• Les cotisations sociales ne suffisent plus, il faut financer autrement les pensions.

Soit. Les dépenses de pensions ( comme celles, généralement , de la Sécurité sociale) augmentent. Une nouveauté ? Non, depuis la création d’un système des retraites, le nombre d’ayant droit à une pension a augmenté, leur espérance de vie aussi, toutes choses dont on doit se réjouir. Mais comment faisaient-ils à l’époque pour absorber ces nouvelles dépenses ? Et bien…ils augmentaient le taux des cotisations-retraites ! Jusque dans les années 90, la part des cotisations a ainsi nettement grimpé dans le PIB français, permettant aux nouveaux retraités le bonheur d’une retraite en bonne santé, avec une pension de plus en plus proche de leur salaire. Entre 1 950 et 2 000, la part des pensions dans le PIB est passée de 5 à 13 % ( multiplié par 2,6 ; à comparer avec les projections entre 2 000 et 2 050 : de 13 à 18 %, soit une multiplication par 1 ,4).Depuis le taux des cotisations sociales a été bloqué ( la mode étant plutôt aux exemptions de cotisations, qualifiées de « charges ») : il n’est plus question d’en parler. C’est un sujet hors-cadre ; il est seulement autorisé de se demander comment on va se débrouiller autrement : CSG ? capitalisation ? comptes notionnels à la suédoise ? Pourtant, toutes ces solutions ont en commun ceci : le retraité qui touchera sa pension en 2050 fera un prélèvement monétaire sur le PIB. Il y a un mirage du rentier : si vous déposez 10 000 euros en 2013, vous les retrouveriez en 2050 avec un intérêt, non seulement intact mais avec un bonus…c’est faux : votre argent placé est aussitôt absorbé dans l’économie de 2013, il ne vous reste qu’un droit à ponctionner cet argent ultérieurement. Imaginons que l’activité économique soit à zéro en 2050, la banque sera bien incapable de vous rendre votre argent ! En 2050, que ce soit au titre de la rente ou de la cotisation, vous devrez prélever votre pension sur la richesse produite par les travailleurs( cf Adam Smith, le père fondateur du libéralisme : « c’est le travail annuel qui crée la richesse », l’épargne ne pouvant se substituer à un manque de travail). La cotisation n’est donc pas davantage une charge économique que l’épargne, mais il n’est en revanche pas politiquement identique de verser des pensions par épargne ou par cotisation. Puisque de toutes les façons il faudra prélever le PIB pour assurer les pensions, demandons-nous plutôt sous quelle forme et avec quelle partage des richesses.

• Il ne faut pas empêcher les seniors encore dynamiques de travailler si ils le souhaitent.

Mais oui, à 60 – 62 – 65 – 67 ans, on est encore jeunes , avec plein d’envies ! Sauf qu’à repousser l’âge légal de la retraite, on voit que l’âge effectif de départ à la retraite ne suit pas. Demandez à un chômeur de 58 ans dynamique s’ il intéresse les entreprises… Rappelons que la possibilité de partir en retraite à 60 ans, votée sous Mitterrand, entérinait pragmatiquement une réalité : les travailleurs quittaient le marché de l’emploi de plus en plus tôt, la caisse d’assurance-chômage était structurellement déficitaire à cause du chômage des plus âgés. Et les dernières contre-réformes repoussant l’âge de départ à la retraite, plutôt que créer une embauche massive des « seniors », ont bien replongé dans le rouge l’assurance-chômage ( encore une institution à « sauver » ?). Mais il est vrai que ceux qui aujourd’hui ont l’âge de partir en retraite sont encore dynamiques : pourquoi n’exploreraient-ils pas d’autres modes d’activité que l’emploi ?
• Il y a un problème démographique évident, l’espérance de vie augmente, il est logique de travailler plus longtemps.
Là encore, voici une évidence qui n’a pas toujours été. Car si on peut comprendre la logique du capitaliste ( plus j’ai de forces de travail disponibles, plus je les utilise longtemps), on croyait que la lutte entreprise depuis plusieurs décennies par le mouvement ouvrier, et plus généralement par la gauche politique, était pour la réduction du temps de travail : réduction de la semaine de travail, création et allongement des congés payés, abaissement de l’âge de départ à la retraite…De fait, on observe sur le long terme, depuis le 19ème siècle ( apogée du travail industriel aux cadences infernales), une baisse tendancielle du temps de travail. La logique historique voudrait donc que l’on continue ce mouvement, stoppé depuis les 35 heures. Avec l’idéologie contre-réformiste actuelle, Blum n’aurait pas accordé en 36 les congés payés, vu que les Français d’alors vivaient plus longtemps que les paysans de l’An mil ! Il n’aurait pas accordé ce progrès, parce que le progrès n’est pas « logique » ! Les efforts financiers , pour des raisons démographiques, ont été plus difficiles dans la période écoulée que dans la période à venir ( en pourcentage du PIB) ; pourquoi cela serait-il devenu impossible désormais ? Quant à la soi-disant impossibilité de prendre en charge la génération des baby boomers en retraite, rappelons que la société française l’a déjà fait : c’était il y a 60 ans, les baby boomers étaient alors des enfants (à charge, donc), ils étaient plus nombreux qu’aujourd’hui et la France était, au sortir de la guerre, beaucoup moins riche que maintenant. Mais la volonté politique était là.
On pourrait aussi objecter que le ratio actif/ retraité n’est pas pertinent, puisqu’avec les gains de productivité un actif de 2 050 produit beaucoup plus de richesses qu’un travailleur de 1 970.
On pourrait constater de plus que dans certaines catégories sociales, évidemment les plus pauvres, la hausse de l’espérance de vie ( et en particulier de l’espérance de vie en bonne santé) est un leurre.
Mais au final tout revient à ceci : le 5ème pays le plus riche du monde voit sa population de retraités augmenter , moins vite qu’auparavant, est-il disposé à continuer les progrès sociaux entrepris depuis des décennies ?

• La pension est un revenu différé : plus je cotise, plus ma retraite doit être élevée.

Attention, nous voici dans une idée profondément installée, y compris à gauche, y compris dans les syndicats. Nous toucherions notre retraite comme une contrepartie aux années de dur labeur. Avec tout ce que j’en ai bavé, j’ai bien droit à ma pension…et plus j’ai travaillé, plus ma retraite sera élevée. De fait c’est une vision d’épargnant : on accumulerait des trimestres, des annuités ou des points, qui nous seraient remboursés au moment de solder les pensions. Or nous avons vu que, même dans le cadre d’une capitalisation, le flux monétaire qui paye les retraites provient nécessairement de l’activité économique, il n’y a pas d’accumulation. Ainsi quand les premiers systèmes de pensions ( en 1 941) et de complémentaires ( après-guerre) se mettent en place, les ayant droit n’ont bien entendu pas, et pour cause, cotisé et accumulé « des droits à la retraite ». Ils touchent leur pension sans avoir cotisé, et ce sont les actifs dans l’emploi qui financent ( l’urgence commandait alors de mettre de côté l’épargne-retraite et de transformer immédiatement les cotisations en pensions). D’autres cas pour les cotisations-retraite( pensions de réversion) mais aussi pour les cotisations-santé illustrent qu’il n’est ni automatique ni évident qu’il faille cotiser ( et à un certain niveau) AVANT d’avoir droit. Mais on voit bien, à travers les cotisations-chômage, que le modèle d’une assurance-risque avec contrepartie est à l’œuvre chez les contre-réformateurs, et que cette idée gagne du terrain dans l’opinion. Notons qu’avec le système des annuités, les femmes sont particulièrement désavantagées : non pas qu’elles travaillent moins , mais elles travaillent moins dans un emploi . En effet beaucoup s’arrêtent pour éduquer leurs enfants, ce qui constitue un travail dont l’intérêt économique est d’ailleurs reconnu par une allocation familiale ( principe remis en cause aujourd’hui, car si l’allocation familiale n’est plus universelle mais liée à des conditions de ressources, elle devient une aide charitable à des assistés), mais ce qui ne constitue pas un emploi donnant droit à des annuités. On voit là que les définitions de travail, d’emploi, de valeur économique sont à reconsidérer, car pleines d’idées reçues. D’un point de vue économique, nous pourrions accumuler les exemples qui montrent que le système capitaliste est fait de multiples contradictions, qui font que cohabitent des institutions progressistes et antisociales ; le système tel qu’il existe montre lui-même qu’il n’ y a pas qu’une seule solution, en particulier que toutes les pensions ne sont pas qu’une contrepartie d’années de travail et de cotisations dans l’emploi. Mais passons à un point de vue politique : notre système de retraite n’est-il pas un système censitaire, tel qu’ il existait au XIXème siècle un suffrage censitaire ? Tout comme il y avait des esprits, aussi brillants que mesquins, pour affirmer l’évidence qu’on ne pouvait pas donner le droit de vote à ceux qui ne gagnaient pas au moins tant, ou qui n’avaient pas fait d’études…on nous offre la retraite sous condition. Aujourd’hui, chaque citoyen, homme ou femme, a le droit de vote à 18 ans, sans autre condition. Pourquoi ne pas imaginer le droit politique pour tous d’avoir une retraite ( nous ne parlons pas ici d’un minimum de solidarité) à un âge donné ? Dans 2 décennies, il se pourrait qu’il apparaisse tout aussi naturel de voter à partir de 18 ans que d’avoir le droit universel de toucher sa retraite à 55 ans…

• Nous sommes dans un système de solidarité intergénérationnelle à préserver.

Les retraités sont des inactifs, ils ont certes beaucoup travaillé autrefois, mais désormais ils pèsent sur les nouvelles générations d’actifs. De la même manière qu’eux finançaient les pensions de leurs parents : c’est la solidarité intergénérationnelle. Un joli mot, et quand on nous dit qu’il faut « sauver » cette solidarité entre générations, l’idée devient tout simplement inattaquable. Ce genre d’affirmation , outre qu’elle tend ( volontairement ou pas) à culpabiliser les retraités ou futur retraités, oppose implicitement les « jeunes » et les « vieux ». En tant que syndicat, nous devons rappeler que si lutte il y a , c’est sur des bases économiques, pas entre des catégories de personnes définies par leur sexe, leur âge ou leur employeur ( public , privé). Le combat social et politique pour trouver le financement des pensions est-il vraiment entre les différentes générations ? Le problème de répartition des richesses en France se résume-t-il seulement à une guerre des juniors contre les seniors ? Ce seraient ainsi mes grands-parents et mes parents qui s’accapareraient le PIB…Donc évacuons d’abord cette tendance à opposer les travailleurs et les pensionnés. Mais interrogeons aussi cette notion de solidarité, pour voir exactement ce qu’elle recouvre. Il faut dès lors repartir de ce qu’est la valeur économique, qui est indiquée aujourd’hui par le montant du PIB. Comment le PIB français fait-il pour être proche de celui de la Chine, « atelier du monde » au poids démographique sans commune mesure avec nos quelques dizaines de millions d’habitants ? Le PIB n’enregistre pas que l’activité marchande ( production agricole, industrielle…), il comptabilise tout travail reconnu comme ayant de la valeur. Les enseignants, les hospitaliers, les fonctionnaires en général , pour prendre l’exemple des services non marchands, ne produisent rien comme marchandise, mais leur salaire est compté dans le PIB comme participant à la richesse du pays. En Chine, que ces services aux personnes existent ou pas, ils ne sont pas comptés. Mais comme dans notre système capitaliste actuel, la monnaie est crée par les prêts bancaires , il n’y a pas de création monétaire spécifique pour ces travailleurs du secteur non-marchand : une ponction en monnaie ( et non en valeur économique) s’opère donc sur le secteur marchand pour payer les salaires des fonctionnaires. Cette opération est « blanche » dans le sens où ce flux monétaire repart ensuite dans le secteur marchand ( on a senti cet effet en 2 008 quand la consommation française s’est relativement bien maintenue), elle renchérit en revanche les salaires ( part socialisée du salaire) des pays avec un fort service public par rapport à ceux qui n’en ont pas. Dit-on pour autant qu’il y a une solidarité « intersectorielle » à « sauver » entre privé et public ? entre marchand et non-marchand ? Tous participent à la richesse du pays, la question étant plutôt : pourquoi est-ce seulement le prêt bancaire qui tient lieu de politique monétaire ? Venons-en maintenant aux pensions, et de manière générale aux allocations sociales. Comme les fonctionnaires, les retraités ne sont pas dans un emploi marchand. Mais ne sont-ils pas des travailleurs, dont la pension reconnaît la valeur économique ? Encore une fois il est nécessaire de différencier travail et emploi ; et les retraités, par leurs activités au sein d’associations, leurs activités politiques ou familiales, peuvent être considérés comme des travailleurs-créateurs de richesse, sortis du marché de l’emploi. Ceci n’est pas qu’une vue de l’esprit. Il y a dans notre système, contradictoire comme nous l’avons déjà vu, des raisons de voir la pension non comme un salaire différé ou de solidarité, mais comme un salaire continué. Le système des retraites et des pensions est apparu d’abord dans la Fonction publique ; ainsi en 1 853 est instauré le « traitement continué » des fonctionnaires d’Etat , en fonction de leur grade et non de leur poste ( aujourd’hui nous dirions en fonction de leur qualification personnelle, et non de leur emploi…à l’époque les références étaient militaires). Au XXème siècle, en raison de la forte inflation en 1 919, il est décidé que ces pensions seront calculées sur les 6 derniers mois de salaire : la bataille sur le salaire de référence commence. Et pour les mêmes raisons, les pensions sont indexées sur les salaires. Jusque dans les années 80, y compris pour le secteur privé, les pensions vont progresser dans le sens d’un taux de remplacement par rapport au salaire de référence de plus en plus élevé. C’est de fait reconnaître que la pension continue le salaire du travailleur, et même le meilleur salaire : autrement dit, on verse une pension selon la qualification de chacun ( comme dans l’armée du XIXème siècle, que je finisse sans affectation alors que j’ai un grade de colonel, j’aurai une pension de colonel ; que je finisse ma carrière au SMIC alors que j’ai exercé un emploi hautement qualifié, je toucherai une retraite à la hauteur de mes capacités professionnelles). Et nous connaissons tous des retraités heureux, dont le niveau de vie s’est maintenu après leurs 60 ans, et qui expérimentent la joie de travailler sans être en situation d’employé toujours menacé . Ceci n’est plus vrai, depuis les années 1 980 les pensions ont décroché par rapport aux salaires, ouvrant la voie au discours sur le salaire différé et la solidarité intergénérationnelle. Il y a quelque chose de presque rugueux pour nos habitudes de penser à considérer que les retraités sont en fait rémunérés parce qu’ils participent à la richesse du pays, qu’ils pourraient l’être en fonction de leur qualification, et non de leurs annuités dans un emploi : les retraités ne sont peut-être pas ces gentils assistés qu’on nous présente…

Enoncer une vérité dans le flot des opinions communes demande du temps – de la part du locuteur, de la part de l’auditeur, rappelle Noam Chomsky. Il faut dépasser la surprise du retard et pouvoir s’expliquer. Donc , pour contrôler l’information, une des techniques les plus simples est de limiter le temps de parole : c’est ce qui se pratique à la télévision notamment, et que Bourdieu qualifiait de « police efficace de la pensée ». Quelle place, et quel temps seront accordés dans les médias aux visions alternatives sur la retraite ?
Nous avons vu que parler de retraite nous emmène inévitablement sur ce qu’est le salaire, ce qu’est la valeur économique, ce qui différencie le travail et l’emploi, comment se crée la monnaie…le mouvement sur les retraites devrait être aussi le moment pour réinterroger ces notions. Sans se laisser imposer des définitions qui circonscrivent le débat.