La tapa sociale de l’après-crise n°1

Retrouvons l’Espagne, 5 ans après les premières tapas sociales, celles d’avant la crise, d’avant l’effondrement des banques, du bâtiment, et par domino de toute l’économie. Ne mégotant pas sur les moyens, la Cgt Educ’action n’a pas hésité à casser son compte secret suisse pour projeter un envoyé spécial au pays du jamon, des tapas et du chômage de masse.
Comme le relatait un article de Mediapart à propos de Naples ( voir la série d’articles sur les pays du Sud de l’Europe en cure d’austérité), ici, à Séville, la crise est partout, mais ne saute pas aux yeux pour autant. En Andalousie, on a toujours connu la galère, la débrouille, alors un peu plus, un peu moins...Mais apparaissent avec la crise des solutions inédites, comme quand des familles entières s’emparent d’immeubles vides.
Pour le Français qui achète les journaux ici, le fait marquant s’affiche tous les jours en gros titres à la Une : la corruption. Pas un jour sans qu’une nouvelle affaire crapuleuse soit dévoilée, connaisse de nouveaux rebondissements ou se ramifie. Corruption du principal parti de droite ( le PP, Partido Poupular), dont l’ex-trésorier, Barcenas, accusé d’énormes malversations financières, a placé l’argent des pots de vin en Suisse, quand il ne le redistribuait pas aux dirigeants du parti ( dont Mariano Rajoy, actuel chef du gouvernement). M Rajoy, qui clame son innocence, pour éviter les questions des journalistes, en est venu à faire des conférences de presse surréalistes : se trouvant dans 2 pièces séparées, les journalistes interrogent un écran de télévision, quand le premier ministre veut bien répondre aux questions. Corruption aussi des gouvernements de province , en particulier celui d’Andalousie ( tenu par le PSOE, Partido Socialista Obrero de Espana) : la gestion des indemnités de chômage, qui est du ressort de chaque province ( il n’y a pas de système national d’indemnisation comme en France) a donné lieu à de nombreux soupçons de corruption, y compris chez certains dirigeants syndicaux. Corruption enfin de la famille royale elle-même : un gendre du roi et maintenant sa femme, l’infante Christina, sont entendus par la Justice pour des malversations financières. La famille royale, longtemps prestigieuse en Espagne, est devenue de plus en plus impopulaire à mesure que les affaires se multipliaient , et soulignaient la fracture entre le roi et la population en difficulté.

Quelques aperçus de l’Espagne, et en particulier l’Andalousie, dans la crise économique et sociale :

  • l’Espagne est redevenue un pays d’émigration. Après avoir connu des poussées de xénophobie contre les migrants marocains ou roumains qui entraient dans leur pays, les Espagnols, poussés par la pauvreté, reprennent le chemin des grands-parents et émigrent en Europe, en Amérique du Sud. Les Portugais connaissent d’ailleurs le même sort : un solde migratoire négatif. Voilà qui tombe bien pour l’Allemagne, à la recherche de travailleurs qualifiés ( ingénieurs, médecins, infirmiers...) pour pallier le vieillissement de sa population, et qui vient d’annoncer qu’elle souhaitait embaucher des dizaines de milliers de Grecs, d’Italiens ou d’Espagnols.
  • Le logement, bien sûr. Le Espagnols s’endettaient lourdement pour devenir propriétaires ( rappelez-vous, à l’époque, Sarkozy parlait du modèle espagnol !). Aujourd’hui c’est d’un côté un nombre incroyable de travailleurs directement ou indirectement touchés par le chômage, et de l’autre des familles expulsées de leur domicile, avec , raffinement hispanique, l’obligation de payer l’hypothèque même après avoir « rendu » son logement. L’histoire est loin d’être anecdotique : nous parlons de millions de logements vides , et de centaines de milliers de familles, la contradiction de la situation a donné lieu à un slogan ( « Ni gente sin casa, ni casas sin gente » ; aucun logement sans habitant, aucune personne sans logement) et à des actions inédites, comme l’occupation et le squat d’immeubles vides, parfois jamais habités, non pas par des alternatifs, mais par des familles entières.
    Il y a 5 ans, les jeunes restaient longtemps chez les parents afin d’économiser pour devenir propriétaire, aujourd’hui ce sont les parents, au chômage, qui retournent chez les grands-parents, et toute la famille doit vivre sur les pensions de retraite...quand ce n’est plus possible, certaines familles tentent donc l’aventure des Coralas ( les squats) pour retrouver leur indépendance. voir les émissions de Là-bas si j’y suis consacrées à ce phénomène
  • Les services publics. La cure d’austérité menée par les gouvernements de MM Zapatero puis Rajoy a entraîné des coupes sombres dans tous les services publics, de même qu’elle a souligné les inégalités entre les différentes provinces ( et montré les limites des politiques d’autonomie). Réduction des effectifs, baisse brutale des salaires...et privatisations, la crise se sent dès qu’on doit faire appel à l’Etat ou la Communauté de province. Ces attaques sans précédent ont donné lieu à des « mareas », des marées ou vagues ( une couleur par secteur ou profession) lors de récentes grandes manifestations : marée verte pour les enseignants, marée orange pour les travailleurs sociaux, marée blanche pour les travailleurs de la Santé...Vous trouverez en fin d’article l’interview d’un dirigeant syndicaliste enseignant. Pour les hospitaliers, les anciens lecteurs de tapas sociales se rappellent peut-être des velléités privatisatrices de la Communauté de Madrid ( alors et toujours dirigée par le PP). Les secteurs « hors-santé » avaient été confiés au privé dans de nombreux hôpitaux : blanchisserie, nettoyage, restauration...La crise a créé un effet d’aubaine ( voir « la stratégie du choc » de Naomie Klein) : pour la Droite ,il faut privatiser ce qui ne l’a pas encore été ; ce sont donc 6 hôpitaux de Madrid et sa région qui sont menacés de sortir du système public. Même l’Etat ( ou les Provinces) dans ses services régaliens se montre défaillant : les Espagnols ne tarissent pas d’anecdotes sur les policiers de tel endroit qui ne se déplacent plus qu’à pied, ou en bus, faute de véhicule en bon état, ou faute d’essence. Ainsi à Séville des policiers locaux se sont ridiculisé quand ils sont tombés en panne de gazole sur l’avenue principale de la ville, et ont dû pousser leur véhicule, mais il n’y plus d’argent pour faire le plein !

    Il n’y pas d’argent non plus pour réparer les voitures : au-dessus de 300 euros de frais de réparation, on abandonne, et on utilise les pièces pour compléter un autre véhicule. Ce bricolage a fini par se voir quand des passants ont immortalisé une patrouille de la « Poliolicia local », faisant la risée du web. Et pendant la Semaine Sainte, les syndicats de policiers ont protesté contre les emplois du temps, soupçonnant la mairie de prévenir les agents au dernier moment pour économiser sur les salaires et les heures supplémentaires.

Interview de José Campos, Secrétaire Général de la Fédération enseignante F.E.CC.OO., faite par le CSEE en mars 2012 dans le cadre de ses fiches « ...face à la crise ». Merci à Patrick R. pour la traduction :

voir toutes les fiches ici


Quelle est votre réaction face à la crise ?
 
En Espagne, le gouvernement a imposé beaucoup de mesures d’austérité qui ont affecté les couvertures sociales et la société dans sa globalité
La Fédération de l’enseignement des commissions ouvrières approuve le fait qu’il faille faire preuve de prudence financièrement en temps de crise, mais les mesures prises doivent être les bonnes.
La solution à la crise passe par la préservation de la protection sociale accompagnée d’un effort de stimulation économique.
C’est pour cela qu’il est important d’analyser en profondeur quelles mesures ont un effet réellement positif sur la situation économique au lieu de continuer à adopter des mesures d’austérité comme une fin en soi.
Si la Fédération de l’enseignement et ses membres ont une approche réaliste de la situation, ils n’approuvent pas la façon la façon dont le gouvernement gère la situation.
L’austérité doit être utilisée à bon escient et seulement lorsque c’est absolument nécessaire.
Les effets de la crise affectent principalement les gens qui n’ont pas de responsabilité dans l’actuelle situation et nous ne permettrons donc pas que la crise impacte ceux qui ne sont pas à l’origine des causes de la crise.
En outre, les mesures d’austérité touchent d’importants secteurs comme l’éducation et la santé, secteurs dont la société dépend ; procéder à des coupes claires dans ces secteurs stratégiques n’est pas la bonne option.
Le secteur de l’éducation fait au contraire partie de la solution pour sortir de la crise.
L’Espagne doit dans son effort d’éducation, expliquer et propager ses solutions pour sortir de la crise.
 
Dans quelle mesure ses membres sont affectés par la crise ?
 
Les personnels de l’éducation, que ce soit dans le public ou dans le privé, ont été directement touches par la crise.
L’éducation nationale a subi une attaque qui a conduit à une baisse de qualité de l’enseignement dispensé. Cela a également affecté le principe d’égalité dans l’enseignement. Par ailleurs, les conditions de travail des enseignants se sont dégradées.
L’Espagne a connu une baisse de budget de 3 milliards d’euros depuis le commencement de la crise et cela à abouti au départ de 40.000 employés dans le secteur de l’éducation depuis 2011.
Le résultat de ces coupes budgétaires est l’augmentation du nombre d’élèves par enseignant. Les restrictions ont également touché certains besoins spécifiques, diminué la part des fonctions support- des aides extérieures ?) et entraîné une augmentation de la charge de travail des personnels concernés.
Fin mars, le gouvernement publiera le nouveau budget et il est à craindre que de nouvelles coupes seront annoncées ce qui déteriorera encore plus la situation déjà critique des enseignants en Espagne.
La Fédération de l’enseignement, en tant que syndicat a été profondément affecté par la crise.
Alors que nous constituons le dernier rempart contre la crise au sein de la société, dans le même temps, les syndicats en Espagne ne disposent malheureusement pas de support dans les médias.
Au contraire, les medias ont donné des syndicats une image négative, les accusant d’aggraver la situation.
Nous avons été accusés de ne pas avoir une attitude constructive et d’être une source de problème.
Cela a induit une attitude négative à l’égard des syndicats, de leurs actions et des valeurs qu’ils portent et cela a affaibli leur position dans la société tout entière.
C’est pour cela que les gens font moins confiance aux syndicats qu’auparavant.
Du fait des licenciements massifs d’enseignants, la Fédération de l’enseignement a vu son personnel diminuer.
En Espagne, les enseignants ont le droit, de par la loi, d’affecter une partie de leur temps de travail à des actions syndicales.
En conséquence, le nombre d’heure de travail que les enseignants offraient à leur syndicat a diminué. De plus, notre syndicat a aussi connu une baisse de ses ressources.
 
Que faites vous pour soutenir les enseignants ?
 
La Fédération de l’enseignement, avec d’autres syndicats d’enseignants et de fonctionnaires, nous appelons à une grève générale le 29 mars 2012, veille de la date théorique d’entrée en vigueur de la réforme.
Actuellement, je vais de régions en régions pour encourager les syndicalistes, les militants et, au-delà d’eux, la société toute entière, à prendre part à la grève générale programmée pour la fin du mois. Ceci afin de montrer au gouvernement que les coupes budgétaires ne constituent pas un moyen de créer de la croissance.
Juste avant cette interview, j’étais à Malaga pour encourager les membres de notre Fédération à mobiliser dans la perspective de nos actions.
Nous attendons la participation de 50% de la totalité des enseignants à cette mobilisation préparée depuis un an et qui a été baptisée -sans symbolique particulière- « Marée verte »
Ce nom vient du fait que les enseignants portaient des T-shirts verts lors des mobilisations.
Ce T-shirt vert a maintenant inspire le nom du mouvement et la couleur verte est devenue le symbole du combat des enseignants contre les coupes budgétaires décidées par le gouvernement et les mesures d’austérité.
 
Qu’est ce que le Gouvernement espagnol devrait faire ?
 
Les coupes dans le secteur public ne permettent pas la croissance, contrairement à la stimulation de l’économie qui constituerait une bonne piste pour s’en sortir.
Malheureusement, la Fédération de l’enseignement craint que la nouvelle réforme de la fin du mois de mars ira dans la direction opposée, annonçant de nouvelles restrictions dans le secteur public.
J’ai peur que cela fasse stagner l’Espagne pendant 20 ans.
D’autres solutions doivent être trouvées pour offrir une alternative aux coupes budgétaires dans les services publics.
Quelque chose doit être fait et la Fédération de l’enseignement est sensible à la gravité de la crise.
Des solutions alternatives doivent être trouvées.
Nous devons résoudre le problème que posent les mesures d’austérité. 
 
Qu’est-ce qui peut être fait à un niveau européen ?

 
La coopération à un niveau international est un élément important de la lutte contre la vague des mesures d’austérité imposées.
Nous croyons que le syndicalisme international est le meilleur outil pour résoudre la crise.
La coopération au niveau international est importante.
L’action politique également au niveau international doit changer et de nouvelles recettes doivent être trouvées.
De nouveaux outils doivent être développés et appliqués pour développer la société, tant à court terme qu’à plus long terme.