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Dissimulées ou retardées, les données sur l’école sont jugées peu fiables

Le ministère de l'éducation est soupçonné de ne laisser filtrer que les statistiques favorables à son bilan.

Par Maryline Baumard

Publié le 12 décembre 2011 à 12h13, modifié le 15 décembre 2011 à 08h14

Temps de Lecture 5 min.

Luc Chatel, en septembre 2011.

Quel est vraiment le niveau des élèves français? A entendre le ministre lire les résultats des évaluations des élèves en CE1 et en CM2, il serait en progression. A lire les résultats internationaux, il serait plutôt en baisse…

Deux nouvelles enquêtes, l'une comparant le niveau de maîtrise de la langue entre 2003 et de 2009, l'autre entre 1997 et 2007, montrent que les lacunes des plus faibles se sont aggravées. Mais ces deux travaux attendaient dans les tiroirs du ministère de l'éducation depuis le mois de juin. C'est l'Insee qui, le 16 novembre, les a divulgués dans son Portrait social. Le jour de la parution de l'ouvrage, les statisticiens de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) ont été priés de ne pas commenter ces résultats qui ne suivaient pas la "bonne" courbe.

Dix jours plus tard, le cabinet de Luc Chatel publie l'une des enquêtes. La seconde qui compare le niveau des élèves entre 1997 et 2007 est toujours au fond d'un tiroir: "Ce qui s'est passé là est assez symptomatique. Nos enquêtes sont bienvenues lorsqu'elles accompagnent la communication du ministre. Sinon, elles attendent, rappelle un chercheur, sous couvert d'anonymat. Et plus encore si elles montrent une baisse de niveau."

Comme tous les travaux ne collent pas au plan communication, les informations fournies au grand public sur l'école se réduisent comme peau de chagrin. Les "Notes d'information" en sont le meilleur exemple. "J'en publiais une cinquantaine par an", se souvient Claude Thélot qui, sept ans durant, a été à la tête de cette direction et développé la place de la statistique sur le sujet. 61 sont sorties en 2001, 62 en 2003… 37 en 2008, 18 en 2009 et 19 cette année. Sur un programme de 46 prévues.

On attend toujours le bilan sur l'expérimentation du sport l'après-midi en vigueur dans 200 collèges (prévu initialement pour novembre). Celui sur le dispositif d'accompagnement éducatif, qui devait sortir en avril. Rien sur la mutation des profs, le niveau de lecture en 6e, la vision du collège par les parents… Rien non plus sur l'évaluation de l'assouplissement de l'affectation dans les collèges et les lycées, alors que la politique a changé en 2007.

"Un appel d'offres a été fait auprès de chercheurs extérieurs. On a compris que le ministère ne publierait rien sur le sujet en écoutant la présentation qui nous en a été faite, affirme un statisticien de la DEPP, sous couvert d'anonymat. Savez-vous que dans un département de banlieue parisienne, cet assouplissement a embourgeoisé l'enseignement catholique et vidé les établissements publics des catégories privilégiées?" "Ça intéresse le citoyen, une info comme celle-là", reprend un autre chercheur de la DEPP. L'information finira par sortir. Ailleurs.

Cela s'est passé ainsi avec la cartographie de l'obésité des enfants. Le chercheur qui travaillait pour le ministère de l'éducation a attendu. On lui a dit que son travail serait publié quand le ministre communiquerait sur la santé à l'école. Puis rien. Alors il a publié au ministère de la santé au début de l'année. Ce que n'est que le 9 décembre que la Rue de Grenelle a mis l'étude sur son site.

Certaines informations sont diffusées avec des mois de retard. Quand elles ne gênent plus. Ainsi, le bilan de la rentrée 2010 a été publié à l'été 2011, alors qu'il était prévu pour février. Il aurait peut-être été délicat de montrer que le nombre d'élèves avait augmenté, alors qu'on coupait 16 000 postes. On attend maintenant les données de la rentrée 2011…

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Plus encore que ces non-parutions, les scientifiques de la direction statistique sont choqués par le transfert des évaluations de l'école primaire de la DEPP vers le service chargé d'appliquer la politique du ministre, la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO). C'est désormais elle qui conçoit, fait passer et corrige les évaluations des élèves de CE1 et de CM2.

Les parents d'élèves de la FCPE dénoncent le fait que "cette direction se retrouve juge et partie puisqu'elle contribue à évaluer ses propres politiques". On pourrait se dire que cette association est marquée à gauche, mais elle n'est pas la seule à critiquer. "Il est regrettable que le ministère préfère mettre en avant les résultats contestables des évaluations CE1 et CM2, mises en place depuis quatre ans par la DGESCO, évaluations qui ont surtout pour objectif de nourrir la communication ministérielle au détriment d'une information étayée sur une méthodologie rigoureuse", estime Jean-Claude Emin, ancien sous-directeur de la DEPP.

L'Insee n'a pas repris ces résultats dans son Portrait social. Le Haut conseil de l'éducation (HCE), dans son rapport du 14 septembre intitulé "Les indicateurs relatifs aux acquis des élèves", a jugé que "les indicateurs tirés des évaluations nationales des trois paliers du socle commun ne sont pas fiables pour des raisons de méthode". Et pourtant, le cabinet de Luc Chatel continue d'y lire une progression du niveau des élèves.

Aujourd'hui, la retenue de certains résultats doublée de ce transfert de compétences jette une véritable suspicion sur tous les chiffres que le ministère laisse sortir. Au point que la communauté éducative s'appuie désormais sur les résultats internationaux. PISA (OCDE) pour la langue, les maths et les sciences à 15ans; PIRLS pour la lecture en fin de primaire. Deux enquêtes qui concluent, elles, à une baisse du niveau.

Il manque des éléments franco-français fiables pour alimenter un débat honnête et constructif sur l'école et les dernières politiques en œuvre. "Il est essentiel en effet que, dans notre démocratie, les données concernant les résultats de notre système éducatif soient objectives et transparentes, donc incontestables", écrivait le HCE en septembre. La semaine dernière, les parents d'élèves ont prévenu que "ces informations relevant de missions de service public ne sauraient être réservées au seul ministre". Interstat, le collectif de syndicats de l'Insee et des services statistiques ministériels venait de dénoncer le "débat faussé" sur l'éducation et la mise à l'écart de la DEPP.

Dans l'entourage du ministre, on répond que "la direction de l'enseignement scolaire n'est pas la moins bien placée pour concevoir des évaluations". Et le ministre précisait récemment qu'"une évaluation indépendante paraît un principe assez sain". En attendant, les très indépendantes évaluations de l'inspection générale sont elles aussi distillées au compte-gouttes. Celle qui porte sur l'évaluation des internats d'excellence mis en place en 2007 pour un coût de plusieurs centaines de millions d'euros est toujours attendue. Trop peu pour qu'on ait le droit de savoir?

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