STOP À LA MALTRAITANCE INSTITUTIONNELLE ! TOUS EN LUTTE POUR FAIRE NOTRE METIER !

Samuel Paty a été assassiné ce vendredi 16 octobre à la sortie de son établissement scolaire alors qu’il rentrait chez lui pour entamer en famille les congés de la Toussaint. Notre collègue Samuel était professeur d’histoire-géographie au collège du Bois-d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine et a, dans le cadre de son cours sur la liberté d’expression au programme de l’Education morale et civique, montré des caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo. Faire son travail lui a coûté sa vie, fauchée au nom de l’intégrisme islamique.

Cet événement a profondément bouleversé l’ensemble des personnels de l’Education et plus particulièrement les enseignants. Nous sommes nombreux à avoir rejoint les rassemblements en hommage à Samuel dans notre département, où il a enseigné dans trois établissements, et partout en France. A la fois émus, tristes, inquiets et en colère, nous nous sommes tus et nous sommes recueillis.
Le temps du deuil n’est cependant pas le temps médiatique et politique à en croire la rapidité avec laquelle le ministre et avec lui le gouvernement, se sont empressés d’œuvrer à la récupération politique de la décapitation de notre collègue, en choisissant de fermer le débat en le menant exclusivement sur l’intégrisme, l’islamisme, le terrorisme et de manière plus pernicieuse, « les musulmans » et « les étrangers » tout en nous exhortant à l’unité.

Mais comment faire bloc derrière un ministre de tutelle qui nous malmène comme jamais aucun de ses prédécesseurs ne l’avait fait avant lui ? Comment ne pas dénoncer l’étendard de la liberté d’expression brandi par un ministre qui a réussi à remettre en question la reconnaissance de cette liberté fondamentale due statutairement aux enseignants en dehors de l’exercice de leur mission, avec l’article 1er de sa loi cyniquement appelée « pour une école de la confiance » ? Comment ne pas penser à tous les collègues, choisis souvent parmi nos représentants syndicaux, menacés ou en cours de procédure disciplinaire pour avoir exercé une liberté fondamentale comme le droit de grève ? Comment ne pas penser à tous nos collègues qui, chaque jour dans notre institution, subissent des pressions, voire des sanctions, suite à des dénonciations calomnieuses d’usagers, parfois même de collègues quand ce n’est pas notre hiérarchie elle-même qui nous diffament ?

Balayée donc une réflexion de fond sur la protection statutaire due aux enseignants comme à tout autre agent de la Fonction publique et bien trop souvent foulée au pied par une hiérarchie prompte au contraire à exercer des pressions sur les personnels. Balayée donc une réflexion de fond sur le fait qu’on ne peut pas discréditer les enseignants en les faisant passer aux yeux de l’opinion pour des « fainéants », des « privilégiés » et maintenant des « islamo-gauchistes » complices des attentats perpétrés au nom de l’islamisme, de manière anodine sans que cela ait des incidences sur les conditions d’exercice mêmes de cette profession, dont le ministre a bon dos aujourd’hui de dire qu’elle est la « colonne vertébrale de la République ».

Qu’avons-nous eu de notre ministre en lieu et place de cette réflexion pourtant nécessaire ? D’abord la volonté affirmée, dès les premiers jours qui ont suivi le décès de Samuel, de nous sommer de mettre en œuvre pour la rentrée du 2 novembre un contenu qui aurait été entièrement dicté par le ministre lui-même, faisant entrer dans l’Ecole les élus locaux, montrant obligatoirement aux élèves les caricatures de Charlie, en présence d’un autre adulte non nécessairement enseignant dans les classes. Et bien que le ministre a reculé, nous n’oublions pas qu’il avait sérieusement envisagé une telle journée, qu’il avait sérieusement envisagé nous soumettre à une série d’injonctions, ce qui revient pour nombre d’entre nous à nier notre souffrance. Ensuite le ministre nous a adressé deux courriels le 22 octobre, soit moins d’une semaine après le décès de Samuel, pour nous informer que le « Grenelle des professeurs » qui doit finir la casse de notre statut commençait bien, et nous sommes nombreux à nous être dit que décidément, le ministre n’entend pas nous laisser le temps de nous relever pour reprendre notre souffle mais souhaite bien poursuivre son entreprise de démolition du service public d’Education que nous servons et défendons parce que c’est notre travail. Enfin, le ministre nous a écrit vendredi pour nous dire que nous ne pourrions même pas nous réunir lundi de 8h à 10h comme cela avait été avancé jusqu’ici.

Le moins qu’on puisse dire, Monsieur le ministre, c’est que nous ne sommes ni « choyés » ni dupes.
En cette veille de reprise, l’inquiétude est ainsi particulièrement vive dans notre profession.
Participer à cette journée du 2 dont nous ne connaissons pas en réalité les contours en bonne partie laissés à l’appréciation des directions pour le secondaire mais dont nous avons le sentiment partagé qu’elle est essentiellement au service de la communication gouvernementale, et plus largement ouvrir l’Ecole pour y accueillir nos élèves soit en ayant en responsabilité la mise en œuvre d’un « protocole sanitaire » en un week-end pour le premier degré, soit en faisant comme si de rien n’était dans le secondaire puisqu’aucun allègement des effectifs n’est même envisagé, suscite une angoisse bien légitime quand on sait comment s’est déroulée la première période scolaire pour laquelle des masques non protecteurs et probablement toxiques nous ont été distribués et au cours de laquelle nous n’étions même pas avertis par l’institution du nombre de cas positifs au virus dans nos classes.

C’est pourquoi notre organisation appelle à se saisir du préavis de grève déposé par la CGT Educ’Action qui court du 2 au 7 novembre. Être enseignant de la République ne signifie pas être un robot privé de corps, d’affects et d’idées, simples exécutants d’un ministre en qui nous n’avons plus confiance du tout. Nous ne sommes pas non plus des héros. Nous faisons modestement notre métier : enseigner dans le cadre de programmes définis nationalement et à l’intérieur desquels notre liberté pédagogique tend à être toujours plus restreinte en ayant la lourde tâche de socialiser la jeunesse pour laquelle nous faisons ce métier, aux valeurs républicaines. Qu’on nous laisse donc le faire !